Réflexions sur le cinéma en relief stéréoscopique

À la suite de l’article précédent, je vais jeter ici pêle-mêle certaines de mes observations plus générales sur la mode actuelle des films en relief.

Tout d’abord sur le terme « relief » : on parle bien ici de projection en relief stéréoscopique, et non pas en 3D. La différence est importante, puisqu’à ma connaissance il n’existe pas de système permettant de projeter en 3D (ou alors peut-être expérimentaux ?). Une projection en 3D voudrait dire projeter une image tridimensionnelle autour de laquelle les spectateurs pourraient par exemple se déplacer pour regarder la projection de plusieurs points de vue (comme on le voit souvent dans les films de SF, le permier exemple me venant à l’esprit étant Star Wars avec la projection de l’Étoile de la Mort en 3D pendant un briefing). Donc mettons nous bien d’accord, il ne s’agit pas de ça ici : on parle de projeter une image en relief, c’est à dire qui possède une profondeur. Notre cerveau recrée la profondeur à partir de deux images 2D représentant deux perspectives différentes. Ça tombe bien puisque c’est de cette manière que nous voyons en relief (nos yeux voient deux images en 2D et notre cerveau reconstruit la profondeur, d’où le fait que quand on perd l’usage d’un oeil on a beaucoup de mal à évaluer les distances).

Donc déjà l’industrie du cinéma a réussi à perdre les gens en mélangeant « 3D » pour la production d’un film (par exemple Avatar, Toy Story) et « 3D » pour indiquer qu’il est projeté en relief. Comme exemple de bonne communication on a vu mieux.

Ensuite, j’ai déjà entendu qu’il s’agit d’une nouveauté. J’espère que les personnes qui le croient vraiment sont très jeunes car le procédé est loin d’être nouveau : il existe des salles qui font de la projection en relief depuis des dizaines d’années (y compris à 180° avec des films tournés pour, comme au Futuroscope, très impressionnant), des films ont été diffusés en relief à la télévision dans les années 80 si je ne m’abuse et le premier film a avoir été tourné en relief date de 1954, par un obscur réalisateur nommé Alfred Hitchcock.


Le crime était presque parfait (1954)
Si vous voyez le relief, c’est que vous êtes fou.

Ceci étant dit, pourquoi donc promouvoir autant la projection de films en relief maintenant alors que la technique existe depuis 55 ans (au bas mot depuis 15 ans pour la projection alternée utilisée actuellement) ?

À cela évidemment plusieurs réponses.

Première hypothèse : Il est moins cher à l’heure actuelle de produire des films en relief. Personnellement je ne le crois pas car la majorité des films usent et abusent de 3D, quand ils ne sont pas à 99% en 3D (le 1% restant sont les acteurs, sauf dans Avatar), or comme il est dit dans l’article précédent cela double le travail, et certainement le coût, de production d’un film en relief correct.

Deuxième hypothèse : La technique du relief est mieux maîtrisée qu’auparavant. Là aussi, je doute, car comme le disait l’article précédent pas mal de films en relief sont réalisés à la chaîne pour remplir les salles de projection en relief (et ainsi rentabiliser les investissements le plus vite possible).

Troisième hypothèse : Il est plus facile de projeter en relief à l’heure actuelle. C’est en partie vrai car auparavant il fallait deux projecteurs, avec donc deux pellicules, ce qui est quand même un peu le bordel au niveau de l’exploitant (les projecteurs sont des bidules qui prennent une place incroyable et qui coûtent un oeil). En plus une des technique les plus employées nécessitait un écran spécial ; bonjour les complications et les surcoût pour l’exploitant de la salle.
Parlons-en un peu, des exploitants. Il y a peu les majors du cinéma voulaient leur imposer de changer ces fameux projecteurs pour passer à la projection numérique. La plupart des exploitants n’étaient pas très content car la projection numérique n’apporte des avantages et des économies quasiment qu’au producteur : plus besoin de faire des copies, moins de piratage possible en volant des copies, contrôle sur les projections de films. Du côté de l’exploitant l’avantage certain se situe au niveau pratique puisqu’ils n’ont plus besoin de coller/décoller des bobines et le déplacement d’un film d’une salle à l’autre est plus aisé. Mais quel surcoût ! Les projecteurs numériques ne doivent réellement pas être donnés.
Devinez maintenant quels types de projecteurs sont utilisés pour les projection en relief ? Bingo ! Des projecteurs numériques. Les exploitants n’ont pas le choix, c’est marche ou crève, si tu veux le relief, passe au numérique. Mais ces derniers ont trouvé la parade, puisqu’il suffit de faire payer une petite contribution qu’on appelerait par exemple « location de lunettes ». Prenons l’exemple de MK2 à Paris qui facture cette location obligatoire 3€/séance (pas moyen de venir avec ses propres lunettes). À raison de 7 séances par jour sur un mois, ça fait 588€ de « location de lunettes » par paire. Sacrément chères les lunettes ! Je veux bien croire qu’elles sont plus chère que des lunettes nVidia par exemple, mais quand même pas à ce point-là. On peut donc légitimement penser que cet argent sert surtout à rembourser l’investissement dans le projecteur plutôt que ce qu’on porte sur le bout du nez.

Quatrième hypothèse : l’industrie du cinéma essaye de contrer le piratage. C’est bien entendu évident. Si le piratage de films n’était pas au niveau actuel, on aurait pu attendre le cinéma en relief encore pendant des dizaines d’années ! De la même manière que les bornes d’arcades ont cessé d’intéresser les joueurs le jour où ils ont pu jouer aux mêmes jeux dans leur salon, le cinéma était concurrencé par les écrans plats HD et le piratage qui font que les gens n’avaient vraiment plus à se déplacer, surtout pour payer 10€ la séance après avoir fait 30km et poireauté une heure (assez courant en province). Pour faire revenir les gens dans les salles, le seul moyen est de leur proposer une expérience qu’ils n’auront pas de sitôt chez eux, même en pirate, même en officiel. C’est le moyen qu’a trouvé l’industrie du cinéma pour sauver sa peau, alors que ce moyen, ils l’avaient dans les mains depuis plus de 50 ans. Je trouve cela ironique, et je pense que l’hypocrisie va encore plus loin quand on entend parler des futurs téléviseurs 3D. Ce n’est que mon avis personnel mais je ne pense pas que l’industrie du cinéma va prendre le risque de trop pousser cette technologie afin de ne pas tuer la poule aux oeufs d’or trop tôt ; d’autre part, du côté du consommateur, la majorité des gens viennent de changer leur télé pour un écran plat HD, à mon avis ce n’est pas pour le remplacer par un écran coûteux qui ne leur permettra de voir que dix films dont un potable, et en plus avec des lunettes. Non, franchement, le relief à la maison, je n’y crois vraiment pas. Quand on voit qu’Avatar n’est pas prévu en vidéo relief et qu’ils évacuent toute question concernant une éventuelle sortie en relief, je pense que la messe est dite pour les dix prochaines années.

Reste à savoir si les spectateurs vont continuer à vouloir payer le surplus pour aller voir des projections en relief qui n’apportent que peu de choses. J’ai été voir Alice aux pays des merveilles hier et j’avoue que même si c’était plutôt sympa, le relief n’a vraiment pas apporté grand chose et m’a même régulièrement gêné. Notamment à chaque fois qu’un objet sort de l’écran trop violemment car, pour une raison que j’ignore, je ne les vois pas bien : soit ils se dédoublent, soit j’éprouve une gêne bizarre car je ne comprend pas où se trouve l’objet devant moi – effet aggravé par le fait que le « réalisateur » multiplie les entrée et sorties ultra rapides d’objets du genre « paf, je t’ai eu, tu as eu peur hein ! ». Je mets réalisateur entre guillemets parce que je pense que Burton s’est fait pas mal forcer la main vu que ces plans ne servent strictement à rien ! Bref, je pensais avoir un problème de convergence mais en fait je pense que c’est mon cerveau qui n’imprime pas qu’un objet peut sortir de l’écran et s’approcher de moi (au mieux il sort à disons 2-3m de l’écran, ce qui est peu en salle de cinéma). En tout cas je n’ai eu aucun problème de la sorte avec Avatar.

J’en profite au passage pour signaler aux gens qui n’auraient toujours pas compris le truc que les acteurs filmés en prise de vue réelle ne PEUVENT PAS sortir de l’écran (sauf effet spécial) car quand on les filme, ils sont DEVANT la caméra, donc de l’autre côté de l’écran du point de vue du spectateur. Si l’acteur devait sortir de l’écran, il faudrait… qu’il rentre dans la caméra et traverse son capteur. Un peu difficile !

Revenons à Alice. Ici et là on peut lire les mêmes remarques : « La 3D n’est pas indispensable pour ce film ». Je le pense aussi, de toute façon. D’autant plus que les lunettes ont terni l’image de façon incroyable et que les couleurs tiraient vers le vert (il m’a suffit d’enlever mes lunettes pendant une scène éclairée pour le voir). Bref, j’ai peut-être moins profité du film de ce que j’aurais pu.

Le problème maintenant c’est que la projection numérique offre un avantage peu connu : les distributeur peuvent sous-titrer les films à même l’image, comme pour une vidéo. Puisqu’il ne s’agit que d’une grosse vidéo ! Du coup plus besoin d’utiliser la technique qui consiste à brûler les sous-titres sur la pellicule au laser, procédé super commun qui évite d’avoir à tirer un second master du film (opération très coûteuse) juste pour quelques copies en VOST. Le problème c’est qu’on commence à voir que les films qui sortent en relief ne sont proposé en VO qu’en… relief. Je ne sais pas si cela va s’aggraver, mais j’espère que non.

Car honnêtement, les prochains films en relief j’irai désormais peut-être les voir en 2D : 3€, c’est le prix de mon repas de midi. Et mon repas de midi a l’avantage de me nourrir, de ne pas être trop terne ni de me démonter le nez.

6 réflexions sur “Réflexions sur le cinéma en relief stéréoscopique”

  1. Le problème surtout c’est que l’amalgame « relief » est le même que l’amaglgame « HD » qui regroupe en fait tout un tas de techniques très différentes.

    Par exemple si vous n’avez pas trouvé d’intérêt à voir Alice en 3D c’est qu’il n’a pas été conçu ni tourné en relief. On a fait une conversion électronique d’un film 2d en 3d et le résultat est obligatoirement décevant dans ce cas.

    Non seulement le scénario doit être fait en fonction du relief mais la manière de tourner ou de synthétiser les images et les techniques utilisées aussi.

    Si l’on prend donc à postériori un film 2d pour le convertir en relief il est fort possible qu’un certain nombre de plans fonctionnent à peu près mais il est également quasi sûr que la plupart ne fonctionneront pas et laisseront au spectateur une sensation de « défauts techniques » rédhibitoires qui desservent énormément la cause « film en relief » dont on connait la fragilité puisqu’elle est déjà passée aux oubliettes plusieurs fois depuis l’avènement du film en relief que vous avez rappelé fort justement très ancien.

    Pour Alice et pour toutes les conversions de 2d à 3d j’irai plus loin que vous et dirai que non seulement ce n’est pas utile mais que ce n’est pas souhaitable du tout de convertir la 2d en 3d car ça nuit carrément au vrai film vraiment conçu pour le relief.

    Même si tout est « vendable » suivant le public auquel on s’adresse si on veut vraiment respecter le public, les créateurs et une certaine idée qualitative du cinéma, et plus largement de l’audiovisuel, on se doit de faire doréravant des films vraiment tournés en relief avec tous les moyens créatifs et techniques dont nous disposons à l’heure actuelle et non resservir un catalogue 2d hâtivement converti pour faire du chiffre.

    Selon moi ( je peux me tromper hein …) il en va de la vie même du cinéma du futur !

  2. Hello !
    Ah! ben ça résume bien ce que je pense de l’essor des films en relief.
    Pour ce qui est de l’émergence du relief dans les foyers, il ne me semble pas qu’il y ait de norme unique, ça voudrait dire chacun sa sauce et des médias pas forcément compatible ou alors avec un résultat mitigé.
    Par contre je pense que les vidéoprojecteurs de salon ont une carte à jouer non-négligeable, parce que lorsque qu’on passe d’une image de 1m (voir 1m50) de diagonale à plus de 3m voir 4m ou plus encore, ça change la donne pour une projection en relief.
    Et depuis quelques temps déjà, les vidéoprojecteur se démocratise un peu plus, on a des modèles performants et lumineux pour le prix une TV led de + d’1m diagonale.
    J’en ai testé un chez un ami, et en pleine lumière avec le soleil qui tape sur le mur, on voyait bien l’image.
    @+ et bonne journée.

  3. Bilan : Laissez la 3D a ce qu’elle est. Un petit trip occasionnel. pas plus. Sortir les lunettes en carton pour me faire un quake3, pourquoi pas 🙂 Un film tous les 36 du mois ? mwais… Payer un surplus ? Certainement pas :/.

    Ca me fait penser a une phrase entendue dans un restau, a la table de derrière « Alors avatar, la 3D evoluton ou revolution? » j’ai pas pu m’empecher de pouffer de rire devant cette pseudo masturbation intellectuelle de péon moyen qui sort de la salle de cinéma… Ca laissait deja envisager un avenir bien morne… Et ce que tu viens d’écrire le confirme 🙂 Les boites qui sortent de la pseudo 3D anaglyphe parceque c’est a la mode. Qui gache plus l’experience qu’elle ne l’améliore. les télé qui vont s’y mettre… Effrayant.

    Quelqu’un ressort un vieux truc du placard et ca passe pour l’idée tu siecle et tout le monde se jette la dessus ? J’vais ressortir mon CPC 6128, avec un peu de chance, burning rubber reviendra a la mode(en 3D anaglyphe? La boucle est bouclée)… x)

    PS : Tres tres bon blog. J’vais m’y arreter quelques heures 🙂

  4. Moi je pense clairement la 4ieme hypothèse, en plus a terme je pense que tous les gros films ne seront ( au cinéma ) proposé au cinéma qu’en 3D. Comme ca les screeners ne seront vraiment plus regardable ( même si parfois on se demande qui peut regarder des screeners de qualité si pourri )
    Bon sinon merci Cyril c’était encore très intéressant 🙂

  5. Merci Cyril pour cet article très clair et le précédent sur la 3D. Je ne les découvre que maintenant mais j’adhère totalement.
    J’ai voulu aller voir Alice en 2D au MK2 et je n’ai jamais trouvé de séance en VO le vendredi soir. Donc j’ai fait une croix dessus.
    Ce soir je vais voir Dragons, je suis obligée de le voir en VF car la VO ne commence qu’à 20h40 et j’ai choisi un UGC pour l’avoir en 2D…
    J’en ai marre de la fausse 3D qui n’apporte rien alors que ça se fait depuis des années (vu Captain Eo à Disney, le Futuroscope… ces films sont faits pour, au moins).

  6. Donc il y a encore des gens qui vont au cinéma ? LOL

    Au fait, au MK2, ils vendent (et non louent) les lunettes moches. En tout cas au MK2 Grand Rex.

Les commentaires sont fermés.